ITINERAIRE – Francis Dumaurier, de Montmartre à Manhattan
Écrit par Marie Pierre Parlange :
dimanche 28 octobre 2012
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Livre disponible en téléchargement gratuit ici
Parti de France pour l’Amérique en 1969, Francis Dumaurier n’est jamais rentré dans l’Hexagone. Guide de safaris puis producteur de programmes sur le câble, entre autres, ce passionné de rock réside aujourd’hui à New York, où il travaille dans le monde du spectacle. Dans son premier livre, X-PAT NY, disponible gratuitement en téléchargement, il décrit son parcours de Français expatrié en quête d’aventures
Lepetitjournal.com : Vous vivez depuis plus de 40 ans à l'étranger, qu'est-ce qui vous a donné envie de partir ?
Francis Dumaurier : J'avais déjà fait plusieurs séjours à l'étranger dont l'un d'un an aux USA (Woodstock, etc.) en 1969. Après avoir passé ma Maitrise en Etudes Américaines à Nanterre en 1971, j'ai décidé de prendre un an pour faire le tour du monde avant de revenir passer mon Doctorat. Mon prof m'a donné son feu vert et ma copine a voulu faire ce voyage avec moi (elle était une étudiante américaine à Paris qui avait fini ses études). C'est ainsi que nous sommes partis. Sauf que je n'ai jamais fait le tour du monde et que je ne suis pas rentré en France. Durant ce voyage de fin 1971, j'ai atterri en jungle amazonienne de Colombie où j'ai trouvé un job de guide de safaris et j'y suis resté un an. J'y ai fait la connaissance du Consul Brésilien qui nous a donné nos visas permanents pour aller travailler à Rio. Nous pensions y rester un an pour travailler et économiser de l'argent pour ce fameux tour du monde mais nous y sommes restés 5 ans. Nous nous sommes mariés aux USA dans l'intérim, et avons décidé de retourner à New York où je vis depuis plus de 35 ans. Je ne suis donc pas parti pour "partir de France". Je suis parti en voyage et ne suis jamais rentré car les opportunités trouvées sur place m'ont invité à rester.
N'avez-vous jamais envisagé de rentrer ?
Ma vie est ici à New York. Mes retraites syndicales sont ici, ma Sécurité Sociale est ici, ma profession est ici, ma vie entière est ici. Pour autant que ceci puisse paraitre incongru - et je ne voudrais surtout pas que l'on pense que c'est par manque de respect - il ne me manque rien de la France. J'y vais rarement parce qu'il est plus facile d'aller en vacances en Floride où je n'ai pas à subir les décalages horaires ni la ruine du change du dollar dans la zone euro. Je vais donc principalement en France pour des fonctions familiales. Je suis content - et un peu nostalgique - quand j'y vais, mais je suis aussi content de rentrer chez moi à Columbus Circle. Mon dernier voyage avec mon épouse s'est merveilleusement bien passé parce que nous voyageons avec nos passeports américains et nos cartes de crédit étrangères, que nous parlons anglais puisqu’elle ne parle pas français, et que nous visitons la France en vrais touristes pour qu'elle puisse découvrir des endroits qu'elle ne connait pas encore (en l'occurrence, les châteaux de la Loire). Je peux ainsi voir comment les Français traitent les touristes et je dois vous dire que c'est un vrai plaisir. Malgré la mauvaise réputation des Français dont on parle un peu trop souvent et un peu trop vite, les Français sont généralement aimables, courtois, et prêts à aider quand on leur en fait la demande. Et puis, comme mes expressions sont parfois un peu vieillottes, j'entends de temps en temps la remarque "Vous parlez très bien le français pour un étranger, monsieur." Ceci amuse mon épouse, mais je le prends bien car je comprends que cette remarque vient d'une bonne intention.
Quant à ce qui peut me manquer de la France, en fait pas grand chose de précis. Tous les bons produits français sont importés ici, mes meilleurs amis sont des immigrants français comme moi…
Vous sentez-vous encore expatrié après 35 ans aux USA ?
Expatrié est un terme technique qui désigne ce que je suis et non ce que je ressens. Si je dois me définir, je suis un immigrant à double nationalité complètement intégré à la vie de la "Grosse Pomme", la ville internationale par excellence. Je ne pourrai jamais - ni n'ai d'ailleurs envie de le faire- me séparer de mes origines comme mon éducation cartésienne. Mais je ne pense plus vraiment à la française, ce qui devient rapidement évident dans mes conversations avec mes anciens amis quand je suis en France ou avec des Français de passage ici. Ce phénomène est d'ailleurs bien décrit dans la littérature américaine comme nous en parlions à l'université à Nanterre, et ceci n'est pas spécifique à moi en particulier ou aux Français immigrés en général. Je ne prétends pas avoir la même psyché qu'un Américain né ici, mais je suis tout aussi Américain de droit que n'importe quel autre citoyen, ce qui d'ailleurs se reflète dans le processus de la campagne présidentielle courante alors que j'ai complètement perdu de vue les phénomènes politiques, sociaux et culturels qui se passent en France. J'ai pris, je pense, le meilleur de ce que ces deux mondes ont à offrir et fais de mon mieux pour agir en adulte responsable et fiable en représentant la France avec dignité dans mon travail d'acteur (puisque je suis et serai toujours considéré comme tel avec mon accent que je n'ai pas perdu et qui m'a été aussi très bénéfique) ainsi que dans ma vie de tous les jours.
Pourquoi ce livre ?
La genèse de ce livre remonte à 4 ans, à la suite du décès de mon meilleur ami de lycée, d'université, de voyage etc. J'ai décrit notre amitié de façon linéaire pour moi-même, pour nos amis communs, et pour nos familles puisque nous étions très proches. Ceci a été bien reçu et j'ai ensuite pensé que je pourrais écrire - pour les mêmes raisons et les mêmes personnes - ce qui s'était passé "avant" et "depuis". Plusieurs personnes (mes nièces, des amis proches, des collègues, et particulièrement mon épouse) m'ont alors encouragé à le faire et, quand je m'y suis mis, les 472 pages sont sorties en cascades incontrôlables de souvenirs détaillés avec une précision étonnante en deux mois seulement. Mes anciens amis restés en France ont eu l'air d'aimer, ma famille aussi, et les expatriés que je connais bien m'ont remercié d'avoir exprimé de façon cohérente notre côté de voir les choses. Après avoir été rejeté par les éditeurs classiques, j'ai décidé d'offrir le livre gratuitement en version électronique illustrée sur l'internet plutôt que de l'enterrer ou de me lancer dans une aventure d'autoédition onéreuse et risquée et qui ne m'intéressait pas particulièrement à la suite de mes essais précédents avec la musique et les films indépendants. Mon grand bonheur se trouve dans les e-mails que je reçois maintenant du monde entier de lecteurs qui me remercient d'avoir écrit ce livre et m'encouragent à continuer cette distribution numérique.
Pensez-vous que les Français de l'étranger pourront se reconnaitre dans votre parcours ?
Je ne représente personne que moi-même. C'est MON parcours et chacun a le sien. Mais je décris des expériences et des sentiments qui sont assez universels et dans lesquels chacun peut se retrouver ou rêver. Dès le début, j'ai remarqué que les gens ne lisaient que rarement le livre entier du début à la fin mais plutôt qu'ils cherchaient dans la Table des Matières les parties qui les intéressaient et qui varient avec chaque individu, qu'il soit en France ou expatrié. Mon expérience est unique et - si j'ai souvent eu la chance de me trouver au bon endroit au bon moment - j'ai aussi eu l'initiative de me plonger corps et âme dans mon environnement immédiat. Et c'est là que chacun vit son aventure à sa propre vitesse et à sa propre façon. Le fait que je reçoive souvent des remerciements d'expatriés qui me disent être heureux de lire qu'ils ne sont pas des cas isolés (comme on peut facilement le devenir lorsqu'on vit dans des villes ou régions où la communauté française n'existe pratiquement pas dans ce pays immense) ceci ne veut pas dire que je les représente ou que je sois un cas typique. Comme me l'a dit Marc Levy, chaque vie est un roman …
Extrait :
“Mon travail à Antenne 2 commence à devenir pénible, et je me dis qu’il faut changer mon fusil d’épaule. Je n’ai rien à moi. Je couche depuis deux ans dans une chambre où je m’étais donné trois mois. J’ai 41 ans. Qu’est-ce que je vais faire quand j’en aurai 50 ? Continuer de porter les sacs des vedettes de la télévision française pour des cacahuètes ?
Il faut que je trouve un remède, et je décide de devenir le meilleur acteur français de New York en dix ans. Les voix que j’enregistre pour Antenne 2 quand nous prenons des sujets de CBS et en faisons des versions françaises me valent toujours des compliments, et je passe bien à l’écran sur les bouts d’essai du bureau. Je prends des cours et développe les techniques nécessaires. Je suis prêt à me lancer. (…) Je ne deviens pas acteur pour la gloire. C’est une décision d’homme d’affaires. Je n’ai plus vingt ans et j’ai assez perdu d’argent en jouant au producteur indépendant. La plaisanterie est terminée et je suis là pour gagner ma vie. Bien évidemment, mes concurrents francophones ont presque tous une formation théâtrale. Ces “vrais” acteurs ont cette vocation d’exprimer leur création artistique, et ils n’aiment pas mon attitude de “mercenaire”. Je ne suis pas invité à lire des pièces sur scène avec eux, mais je m’en fiche éperdument.”
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